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FRÉDÉRIC MALHER:
 

Les martinets dans la lettre 21 de Gilbert White dans son Histoire Naturelle de Selborne


Lettre 21

A l'Honorable Daines Barrington

Selborne, le 28/9/1774

Cher Monsieur,

de même que le Martinet (ou "black-martin") est le plus grand des "hirundines" britanniques, de même c'est sans aucun doute le dernier à arriver. Je me souviens seulement d'une fois où il est apparu avant la dernière semaine d'avril et, lors de quelques-uns de nos printemps glacés et rudes, il ne s'est pas montré avant le début mai. Cette espèce arrive en général en couples.

Le martinet, comme l'hirondelle de rivage, manque terriblement de goût pour l'architecture, il ne construit aucune enveloppe pour leur nid, mais le fait d'herbes sèches et de plumes, rassemblées grossièrement et sans art. Malgré toute mon attention, je n'ai jamais pu découvrir un de ces oiseaux en train de récolter ou de transporter du matériel et donc j'ai supposé (puisque leurs nids sont exactement les mêmes) que, de temps en temps, ils usurpent ceux du moineau domestique et les expulsent, comme le fait le moineau avec les hirondelles de fenêtre et de rivage; je me souviens bien les avoir vus se chamailler à l'entrée de leur nid, les moineaux se mettant dans tous leurs états et déconcertés par ces intrus. Et pourtant je suis assuré par un bon observateur en la matière, qu'ils récoltent des plumes pour leur nid en Andalousie et qu'il en a tués avec des plumes dans la bouche.

Les martinets, comme les hirondelles de rivage, exécutent leur travail de nidification dans une obscurité presque totale, dans des fissures de châteaux, de tours et de clochers et en haut des murs d'église, sous les toits et on ne peut donc les observer d'aussi près que les espèces qui nichent plus ouvertement. D'après ce que j'ai toujours observé, ils commencent à nicher vers la mi-mai et j'ai remarqué, en récoltant des œufs, qu'ils avaient été pondus au plus tard le 9/6. En général, ils fréquentent de grands bâtiments, églises et clochers et ne nichent que là. Cependant, dans ce village, quelques couples fréquentent les plus basses et petites maisons et élèvent leurs petits sous ces toits en chaumes. Nous ne nous souvenons que d'un cas où ils ont niché hors d'un bâtiment, et c'est dans les bords d'un puits de craie profond près de la ville d'Odiham, dans ce comté, où nous avons vu beaucoup de couples entrant dans les crevasses et rasant les bords en criant.

Comme j'ai observé ces oiseaux amusants avec beaucoup d'attention, si je dois avancer quelque chose de neuf et de particulier à leur sujet, on peut peut-être me faire confiance, particulièrement parce que mon assertion est le résultat de nombreuses années d'observations précises. Le fait que je voudrais avancer est que les martinets s'accouplent, ou copulent, en vol et je souhaiterais que tout bon observateur qui sursauterait à cette idée use de ses propres yeux et je pense qu'il serait vite convaincu. Dans d'autres classes d'animaux, par exemple les insectes, rien n'est aussi commun que de voir les différentes espèces de nombreux genres accouplées en vol. Le martinet est presque toujours en vol et comme il ne se pose jamais sur le sol, les arbres ou les toits, il trouverait rarement l'occasion de rites amoureux s'il était incapable de s'y adonner en l'air. Si quelqu'un observe ces oiseaux lors d'une belle matinée en Mai, quand ils volent en cercle à grande hauteur, de temps en temps il en verra un se poser sur le dos d'un autre et tous les deux plonger ensemble sur de nombreuses brasses [ 1 brasse = 1,83 m ] poussant une trille forte et perçante, ce que je pense être le moment précis où le travail de la génération se renouvelle.

Comme le martinet mange, boit, récolte des matériaux pour son nid et, comme il le semble-t-il, se reproduit en vol, il paraît vivre plus en l'air que tout autre oiseau et y accomplir toutes les fonctions sauf le sommeil et l'incubation.

Cette "hirondelle" diffère largement de ses congénères par le fait qu'elle ne pond invariablement que 2 œufs à la fois, blanc crème, allongés et pointus à leur petit bout, alors que les autres espèces en pondent de 4 à 6 à chaque couvée. C'est un oiseau très actif, se levant très tôt et se retirant pour dormir très tard, il est en vol pendant au moins 16 heures au cœur de l'été. Pendant les jours les plus longs, il ne disparaît pas se reposer avant neuf heures moins le quart, ce qui en fait l'oiseau diurne le plus tardif. Juste avant qu'ils ne se retirent, ils s'assemblent en grands groupes haut dans le ciel qui crient et foncent avec une rapidité confondante. Mais cet oiseau n'est jamais si actif que par temps orageux étouffant, quand il laisse s'exprimer sa grande alacrité et appelle de toutes ses forces. Par chaude matinée, en petits groupes, ils foncent comme des bolides autour des clochers et des églises, criant en même temps de manière très puissante. Ils sont supposés, d'après de bons observateurs, être des mâles faisant la sérénade à leur femelle en train de couver et ce n'est pas sans raison, puisqu'ils crient rarement avant d'approcher des murs ou des avant-toits et puisque ceux qui y sont émettent à ce moment une petite note de gorge en marque de contentement.

Quand la femelle a durement couvé toute la journée, elle se précipite dehors juste quand il fait presque sombre, étire et soulage ses membres fatigués et avale un maigre repas en quelques minutes puis retourne à son devoir de couveuse. Les martinets, quand ils sont tués sans raison et cruellement, montrent dans leur bouche une petite boule d'insectes qu'ils roulent et tiennent sous leur langue. En général, ils se nourrissent dans des zones plus hautes que les autres espèces, preuve que les moucherons et autres insectes abondent aussi à une hauteur considérable. Ils parcourent aussi de grandes distances, puisque se mouvoir n'est pas un travail pour eux qui sont dotés du pouvoir fabuleux de leurs ailes.

Leurs pouvoirs semblent en proportion de leur bras de levier et leurs ailes sont proportionnellement plus longues que celles de presque n'importe quel autre oiseau. Quand ils se détendent en vol, ils élèvent leurs ailes jusqu'à les faire se rencontrer au-dessus de leur dos.

A certains moments de l'été, j'ai remarqué que les martinets chassaient ensemble très bas pendant des heures au-dessus des étangs et des fleuves et je n'ai pas pu m'empêcher de m'enquérir de l'objet de cette recherche qui les poussait à descendre autant en-dessous de leur niveau habituel. Avec quelque mal, j'ai trouvé qu'ils attrapaient des phryganes, des éphémères et des libellules qui émergeaient juste de leur état nymphal. Je ne me suis donc pas étonné plus longtemps qu'ils soient prêts à se consacrer autant à des proies qui leur apportent une nourriture si abondante et succulente.

Les jeunes s'envolent vers le milieu ou la fin de juillet, mais comme ils ne se perchent jamais et qu'ils ne sont, d'après ce que j'ai vu, jamais nourris en vol par leurs parents, la sortie des jeunes n'est pas aussi connue que pour les autres espèces.

Le 30/6 dernier, j'ai enlevé les tuiles de l'avant-toit d'une maison où de nombreux couples nichaient et je n'ai trouvé que 2 poussins nus dans chaque; le 8/7, j'ai recommencé la même enquête et trouvé qu'ils avaient fait peu de progrès vers le stade emplumé, mais étaient encore nus et vulnérables. D'où nous pouvons en conclure que les oiseaux dont le mode de vie les maintient perpétuellement en vol ne seraient pas capables de quitter leur nid avant la fin du mois. Les hirondelles de fenêtre et de cheminée, qui ont une nombreuse famille, les nourrissent continuellement toutes les 2-3 minutes, alors que les martinets, qui n'ont que 2 jeunes à élever, ont plus de loisirs et ne rejoignent pas leur nid plusieurs heures durant.

Parfois, ils poursuivent et attaquent les éperviers qui croisent leur chemin, mais pas avec la véhémence et la furie que les hirondelles de cheminée montrent dans la même occasion. Ils sont toujours dehors par temps humide et se nourrissent en supportant calmement la pluie. De cela nous pouvons tirer 2 choses : d'abord que beaucoup d'insectes restent très haut dans l'air, même quand il pleut et ensuite que les plumes de ces oiseaux doivent être bien lustrées pour résister si bien à l'humidité. Ils n'aiment pas le vent, spécialement le vent avec des averses et ces jours-là, ils disparaissent et ne sont que rarement vus.

Il y a un fait concernant la couleur des martinets qui ne semble pas être indigne de notre attention. Quand ils arrivent au printemps, ils sont tout d'une couleur suie luisante, sauf le menton qui est blanc, mais, à être toute la journée au soleil et à l'air, ils deviennent presque passés et décolorés avant leur départ, et pourtant ils reviennent de nouveau luisants au printemps. Alors, s'ils suivent le soleil vers des latitudes plus basses, comme certains le supposent, pour profiter d'un été permanent, pourquoi ne reviennent-ils pas décolorés ? Ne se retirent-ils pas plutôt pour se reposer pendant une saison, et à cette occasion muer et changer leurs plumes, puisque tous les autres oiseaux sont connus pour muer peu après la saison de la nidification?

Les martinets sont vraiment anormaux par beaucoup de particularités, se distinguant de tous leurs congénères, non seulement par le nombre de leurs jeunes, mais aussi en nichant une seule fois par été, alors que les autres "hirundines" britanniques nichent invariablement 2 fois. Il est hors de doute que les martinets ne peuvent nicher qu'une fois puisqu'ils disparaissent peu de temps après l'envol de leurs jeunes et parfois avant que leurs congénères ne terminent leur deuxième couvée. Il faut ici remarquer que, comme les martinets ne nichent qu'une fois par été et font seulement 2 petits à la fois, et les autres "hirundines" deux fois, ces dernières, qui pondent 4 à 6 œufs, augmentent leur population en moyenne 5 fois plus que les premiers.

Mais rien n'est plus particulier chez les martinets que leur départ précoce. Ils partent, pour la plus grande partie d'entre eux, autour du 10/8, parfois quelques jours plus tôt, et tout attardé disparaît invariablement autour du 20, alors que leurs congénères, en totalité, restent jusqu'au début octobre, beaucoup d'entre eux pendant tout ce mois et quelques-uns occasionnellement jusqu'au début novembre. Ce départ précoce est mystérieux et étonnant, puisque cette période est souvent la saison la plus douce de l'année. Mais, ce qui est encore plus extraordinaire, ils commencent à partir encore plus tôt dans les parties les plus méridionales de l'Andalousie, où ils ne sont en aucune manière influencés par un manque de chaleur, ni, comme on pourrait le supposer, par un manque de nourriture. Sont-ils conditionnés pour leur départ de chez nous par une pénurie de nourriture, ou par une propension à muer, ou par une disposition à se reposer d'une vie si rapide, ou par quoi ? C'est un de ces problèmes en sciences naturelles qui non seulement déjouent nos recherches, mais aussi échappent à notre imagination!

Ces "hirundines" ne se perchent jamais sur les arbres ou les toits et donc ne se rassemblent jamais avec leurs congénères. Ils fréquentent sans crainte leurs lieux de nidification et ne sont pas effrayés par un fusil, ils sont souvent frappés par des perches et des triques quand ils descendent pour aller sous les avant-toits. Les martinets sont très infestés par ces parasites du genre appelés "hippoboscae hirundinis" et se tortillent et se grattent souvent en vol pour se débarrasser de cette gêne tenace.

Les martinets ne chantent pas et n'ont qu'une note criarde et dure, mais il y a des oreilles pour qui elle n'est pas déplaisante, par une agréable association d'idée, puisque cette note ne se produit jamais en dehors du temps très agréable de l'été.

Ils ne se posent jamais au sol sauf accident, et, quand ils sont à terre, ont du mal à décoller à cause de la petite taille de leurs pattes et de la longueur de leurs ailes. Ils ne peuvent pas non plus marcher, juste ramper. Mais ils s'accrochent fortement avec leurs pieds, par lesquels ils s'agrippent aux murs. Leur corps aplati leur permet d'entrer dans une fissure très étroite et là où ils ne peuvent passer leur ventre, ils se présentent sur le côté.

La disposition particulière de leur pied distingue le martinet de toutes les "hirundines" britanniques, et en fait de tous les autres oiseaux connus, sauf de Hirundo melba, le grand martinet à ventre blanc de Gibraltar, car il est disposé de manière à amener "omnes quatuor digitos anticos" (leurs 4 doigts vers l'avant). De plus, le plus petit doigt, qui devrait être le doigt arrière, n'est formé que d'un seul os et les 3 autres de 2 chacun. Une disposition très rare et particulière, mais parfaitement adaptée aux tâches pour lesquelles ils utilisent leurs pieds. Ceci, et d'autres particularités concernant leurs narines et mandibule inférieure, ont conduit un naturaliste perspicace [John Antony Scopoli] à supposer que cette espèce pouvait constituer un genre par elle-même.

A Londres, une bande de martinets fréquente la Tour, jouant et se nourrissant au-dessus de la rivière sous le pont; d'autres visitent quelques-unes des églises de la banlieue près des champs, mais ne s'aventurent pas, comme l'hirondelle de fenêtre, dans les quartiers bondés de la ville.

Les Suédois ont attribué un nom très pertinent à cet oiseau, en l'appelant "ring swala" ("hirondelle qui cercle"), des cercles ou ronds perpétuels qu'il forme autour de ses sites de nidification.

Les martinets se nourrissent de coléoptères, ou de petits scarabées avec une cuticule solide recouvrant les ailes, autant que d'insectes plus mous, mais on ne voit pas comment ils se procurent du gravier pour broyer leur nourriture, comme font les hirondelles de cheminée, puisqu'ils ne se posent jamais au sol. On trouve parfois des jeunes, couverts d'hippoboscae, tombés au sol sous leur nid, le nombre des parasites rendant leur séjour insupportable plus longtemps. Ils fréquentent dans ce village plusieurs maisons misérables, une lignée fréquentant encore les mêmes toits surprenants, une bonne preuve que les mêmes oiseaux reviennent aux mêmes endroits. Comme ils doivent descendre très bas pour atteindre ces humbles avant-toits, des chats restent à l'affût, et parfois en attrapent en vol.

Le 5/7/1775, j'ai de nouveau retiré les tuiles d'une partie d'un toit au-dessus d'un nid de martinet. L'adulte était au nid, mais elle était si fortement pleine de στοργε (en grec dans le texte) [dévouement] pour sa progéniture, qu'elle supposait en danger, que, sans égard pour sa propre sécurité, elle n'a pas bougé mais est restée bon gré mal gré avec eux, nous permettant de la prendre à la main. Nous descendîmes les jeunes poussins et les avons placés sur du gazon où ils se sont agités et où ils étaient sans plus de défense qu'un nouveau-né. En regardant leur corps dénudé, leur abdomen disproportionné et malhabile et leur tête trop lourde pour leur cou, on ne pouvait s'empêcher de s'étonner en pensant que ces êtres chétifs, dans un peu plus de 15 jours, seraient capables de foncer à travers les airs avec l'inconcevable vitesse d'un météore et que peut-être, dans leur migration, ils auraient à traverser de vastes continents et océans aussi éloignés que l'équateur. La Nature pousse si vite les petits oiseaux vers leur ελικια (en grec dans le texte) ou état de perfection, alors que la croissance progressive des hommes et des grands quadrupèdes est si lente et fastidieuse!

Je suis, etc. (formule de politesse)

Remarque du traducteur : à l’époque de G.White, on rassemblait Hirondelles et Martinets dans le même genre: Hirundines. J’ai conservé le terme anglais dans cette acception et n’ai pas voulu employer le terme scientifique "Hirundinidae" qui ne regroupent que les Hirondelles. J’ai utilisé le terme "congénère" avec le sens de G.White, c’est-à-dire désignant les martinets et les hirondelles.

© APUSlife 2014, No. 2762
ISSN
1438-2261

 

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